jeudi 15 avril 2010

Thaïlande vers la guerre civile

Il est minuit trente le mardi 20 Avril à Bangkok. Je sors de mon hôtel. Je vois l’armée prendre position au coin de toutes les rues du quartier. Je remonte dans ma chambre rejoindre ma femme et lui demande de faire les valises. Nous sautons dans un taxi, direction un hôtel au pied de l’aéroport. Sur la route, des barrages militaires, mitraillette au poing.

Le nuage du volcan Islandais nous empêche de rejoindre l’Europe comme cela était prévu alors, il faut regagner notre domicile à Montréal par la voie asiatique : Séoul puis prendre un avion vers New-York et enfin Montréal.

Callé dans mon siège, au décollage de Bangkok vers Séoul, en ce 21 Avril 2010 je me sentais rassuré, après un mois passé en Thaïlande, ce pays que je connais depuis 1975 pour des raisons bien familiales. Pour moi, voir l‘armée prendre position dans Bangkok, cela m’était presque habituel car depuis 1975, j’ai vécu plusieurs couvre-feux et les habitants disciplinés regagnaient leurs domiciles avant l’heure fixée : vingt-deux heures ou minuit, suivant l’époque. Les avions survolaient à basse altitude la capitale, façon d’impressionner.

Mais cette fois, cela est plus sérieux car Il me sera bien difficile d’oublier les violences du samedi 10 avril 2010 de Bangkok qui ont fait 25 morts et plus de 850 blessés entre les chemises rouges et l’armée Thaïe qui ont rassemblé les fidèles de l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra et des opposants au premier Ministre actuel, Abhisit Vejjajiva.

En fait, ces évènements font éclore les revendications des paysans thaïs dont le pouvoir n’avance pas alors que les gens de la ville ont vu leur situation évoluer. Le monde rural souffre aussi du fait de la baisse du niveau du Mékong qui a perdu un mètre en raison des barrages édifiés par les chinois qui entendent maîtriser l’eau.
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Le samedi 10 Avril 2010, les esprits étaient très échauffés. Dans les rues, on pouvait voir des pickups parcourir la ville avec drapeau rouge flottant, des chemises rouges sur le plateau arrière ou bien des motos chevauchées par des partisans brandissant des drapeaux rouges.

Dans le quartier des hôtels de luxe, des dizaines de milliers de chemises rouges narguaient les soldats, formant un mur anti-manifestation. Les rouges, souvent inconscients, se jetaient sur les boucliers, des femmes criaient à tue tête certaines proches de l’hystérie. La nuit tombée, rien de s’arrêta et les lances à eau les hélicoptères larguaient des gaz lacrymogènes.

Soudain, ce fut l’explosion. Des tirs de toute part. Les forces de l’ordre ne pouvaient tirer que des balles en plastique pour se dégager.

Ce moment de la nuit fut effrayant. La guerre entre les chemises rouges et les forces de l’ordre était totale. Bangkok n’était plus sous contrôle. Le ciel rouge au-dessus du front de la bataille, les cris, les armes qui crépitaient. Dans les rues, on pouvait voir des sortes de Rambo, bandeau rouge autour de la tête, tonfa à la ceinture, déambuler comme des combattants de retour à la maison.

L'ancien Premier Ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, accusé de fraude et de corruption et sous le coup d'un mandat d'arrêt international, a obtenu la nationalité monténégrine. C’est de là qu’il dirige les chemises rouges avec toujours plus de difficulté. Le gouvernement Thaï lui a coupé les faisceaux de télé qui lui permettaient de mobiliser les foules et ses troupes qu’il paie 500 baths par semaine.

Le lundi suivant les affrontements, le camp des rouges, situé en haut de Silom Road face à l’hôtel Dusit, était encore peuplé mais l’atmosphère tendue. Les militants était marqués par la fatigue, l’odeur d’urine et autres rendait le lieu insalubre. Les discours restaient jusqu'au-boutistes et même têtus face aux forces en jeu.

Alors qu’au moins 25 personnes ont été tuées, dont quatre soldats, et plus de 850 autres blessées, Le vice-Premier ministre thaïlandais, Suthep Thuagsuban a déclaré " Nous avons des preuves suffisantes sur les documents photo et vidéo pour identifier ceux qui portent des fusils M-16 ou AK-47. » La justice thaïlandaise a émi des mandats d'arrêt à l'encontre des meneurs des "chemises rouges"
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Le lendemain le 13 avril débutait la fête du nouvel an bouddhique « Songkran » c’est la fête de l’eau et la coutume fait que les gens s’arrosent pendant trois jours avec des fusils à eau. Le passage du fusil de combat au pistolet à eau était surréaliste mais apaisant. Cette année, « Songkran » prit une tournure particulière après ces massacres et l’ardeur à s’asperger était grande, une façon de se laver des dangers horribles de la veille.

Mais la Fête passée, les chemises rouges occupaient toujours le quartier des hôtels de luxe et déclaraient vouloir y faire un campement jusqu'à la chute du premier ministre, puis vouloir organiser une manifestation monstre dans le quartier des affaires. Il n’en faudra pas plus pour que l’armée prenne position dans les rues de Bangkok.
Le directeur commercial d’une entreprise Européenne installée à Bangkok m’expliquait « la moitié de mon personnel est pro Thaksin et l’autre pro Abhisit ».

Le jour de mon arrivée à Montréal, j’apprenais que des grenades avaient explosé dans la foule près de mon hôtel.
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Tous les ingrédients sont là pour qu’une guerre civile s’installe dans un pays où le calme et la sérénité étaient reconnus de tous.